Au crépuscule du règne de Ouattara en Côte d’Ivoire.
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Quand Alassane Ouattara, l’ancien directeur adjoint du FMI accéda au pouvoir en Côte d’Ivoire en 2011, il avait prédit que la croissance économique allait réconcilier le pays avec lui-même, au sortir d’une guerre civile qui avait duré 9 ans.
Toutefois, la majorité des ivoiriens peinent à sentir les retombées de la croissance économique. En effet, près de 46% de la population vit encore en dessous du seuil de pauvreté. L’économie néolibérale n’a pas allégé la faim qui tenaille la moitié du people ivoirien, alors que l’unité du pays demeure encore élusive. Bien que Ouattara ait annoncé qu’il renonçait à briguer un troisième mandat qui aurait été anticonstitutionnel, ses dérives autoritaires restent un souci.
Beaucoup d’eau a coulé sous les ponts depuis son arrivée au pouvoir 2011. Après plusieurs mois d’un conflit armé qui avait fait plus de 3 000 morts et 300 000 refugiés, la communauté internationale voyait en Ouattara l’incarnation d’une nouvelle ère pour la Côte d’Ivoire. Parce qu’il était un technocrate, les élites occidentales et les institutions financières voyaient en lui le personnage capable d’assurer la stabilité économique du pays au sortir du conflit armé.
Sur le papier, et selon les indicateurs du marché international, l’économie ivoirienne se porte bien. Une décennie après la fin du conflit, le gouvernement ivoirien a démontré sa capacité à remettre sur pied une économie moribonde et à attirer des investissements étrangers. Le PIB de la Côte d’Ivoire sous Ouattara a eu une croissance de plus de 7%, un taux parmi les plus élevés en Afrique. A travers le pays, de grands chantiers sont en cours, y compris un métro pour Abidjan dont l’inauguration est prévue en 2023, alors que des cafés, restaurants, et hôtels sortent de terre un peu partout.
Toutefois, les ivoiriens se plaignent que ces indicateurs de la croissance économique n’ont pas eu l’impact escompté sur leur vie quotidienne. Pendant que les investissements étrangers inondent le pays, les ivoiriens ont encore faim. Aussi, cette croissance n’a pas résolu les causes profondes du conflit ivoirien.
Néanmoins, les institutions financières internationales et les gouvernements occidentaux ont bien accueilli les politiques économiques de Ouattara. Le président ivoirien a en effet amélioré l’espace des affaires de son pays, si bien qu’en 2014 et 2015, la banque mondiale notait que la Cote d’Ivoire faisait partie des 10 pays au monde qui avaient le plus fait de progrès dans leur environnement d’affaires.
Ouattara a aussi rétabli la sécurité intérieure du pays. Voyager en Côte d’Ivoire n’est plus dangereux, et la zone tampon qui divisait le pays durant la guerre civile a disparu. Les ivoiriens, y compris ceux qui ne sont pas du camp de Ouattara, admettent que leurs vies ne sont plus en danger, et les barrages policiers ne sont plus omniprésents.
Au-delà de la façade
Cependant, au fil des années, les questions relatives au respect des droits humains et acquis démocratiques demeurent. La sphère politique se rétrécit, et les opposants craignent pour leur sécurité.
Lorsqu’en 2016 le président Ouattara organisa un referendum sur des reformes constitutionnelles, le taux de participation était de 42% seulement. Ce qui pourtant n’a pas empêché le gouvernement de mettre en place les reformes, créant au passage un sénat, que beaucoup d’ivoiriens jugent inopportun et budgétivore, et simplement une institution de plus pour permettre au d’asseoir sa mainmise sur les institutions de la république. En effet, un tiers des sénateurs sont nommés par le président lui-même.
Et ceci n’était en effet que le premier jalon d’une longue série de mesures qui allaient malmener le processus démocratique ivoirien.
Les partis d’opposition sont réprimés, et le gouvernement de Ouattara met aux arrêts ceux qui s’opposent à son régime. La dernière en date est le mandate d’arrêt issu contre Guillaume Soro en Décembre 2019. L’ancien président de l’assemblée nationale et leader des Forces Nouvelles, qui contrôlaient le nord ivoirien de 2002 à 2011, rentrait d’Europe quand il a été informé qu’il serait emprisonné s’il rentrait au pays. Son avion fera alors cap sur Accra.
Le gouvernement ivoirien accuse Soro d’une tentative de coup d’état et dispose d’un enregistrement vocal qui le prouverait. L’enregistrement en question, néanmoins, daterait de 2017, ce qui soulève des questions concernant le timing du mandat d’arrêt. Si Soro est en fait impliqué dans un complot visant à déstabiliser l’état ivoirien, pourquoi avoir attendu si longtemps pour le poursuivre ?
Il est clair que les poursuites contre Soro pour complot contre l’état sont liées à la décision de celui-ci, en Octobre dernier, depuis l’Espagne où il se trouvait, de déclarer sa candidature aux prochaines élections. Cette candidature a déconcerté le gouvernement, qui voit se dresser sur son chemin un potentiel adversaire à la conquête de l’électorat jeune et du nord.
Le gouvernement a non seulement lancé un mandat d’arrêt contre Soro, mais aussi plusieurs de ses proches collaborateurs ont été emprisonnés, y compris cinq parlementaires. Son frère Rigobert Soro est perdu de vue depuis le 30 Décembre 2019, une disparition forcée, selon Amnesty International.
Des signes d’espoir?
La récente décision de Ouattara de ne pas briguer un troisième mandat pourrait éviter a la Cote d’Ivoire de prendre un tournant vers une dérive autoritaire. Cependant, la répression dont l’opposition continue de faire les frais et l’absence de concertation sur la composition de la commission électorale invitent à plus de circonspection quant à la sortie de crise.
Que Ouattara ait renoncé à briguer un troisième mandate est certainement une aubaine pour les ivoiriens qui craignaient une répétition du scenario de 2010 durant lequel Ouattara, Bédié, et Gbagbo se sont affrontés. Mais à moins que le président renonce aussi aux autres manigances anti-démocratiques et qu’il ouvre un véritable dialogue politique avec l’opposition, reforme la commission électorale, et libère les prisonniers politiques, le danger plane encore sur le pays et les prochaines élections pourraient bel et bien rappeler celles de 2010.